Patrice Mallet :
« Les Parisiens nous on volé la télévision ! »
Photos © Nico
Propos recueillis par Marc Polisson
Pour le taquiner, ses
proches le surnomment encore Jean-Claude Bourret. Patrice Mallet, 50 ans,
sauveteur de TV8 Mont Blanc a du souquer ferme pour maintenir le vaisseau
télévisuel savoyard à flot. L’équipage de 60 galériens a été ramené à 15
navigateurs polyvalents et déterminés. Et ça marche ! Une exception dans le
microcosme des télés locales qui sont souvent des gouffres financiers. Rencontre
avec le couteau suisse de la profession !
On va bientôt fêter le 4ème anniversaire du redémarrage de TV 8 Mont
Blanc. Vous voyez enfin le bout tunnel ?
Non, pas encore, moi
j’estime qu’on verra le bout du tunnel le jour où on aura un retour sur
investissement. Aujourd’hui, je ne gagne pas plus d’argent que j’en gagnais
quand j’étais rédacteur en chef. Mais les résultats sont là, il y a une
fidélité, les clients nous suivent, la chaîne est reconnue, on monte petit à
petit.
Quelle est votre formule magique au niveau des programmes ?
« Nous devant, vous
dedans ! » Au niveau de la grille des programmes, on est reparti sur des choses
qui nous semblaient simples. Par exemple, il y avait une vraie demande pour
« La place du village », une émission-institution chez nous, animée par deux
professeurs d’histoire qui sont jumeaux et qui vont à la rencontre des gens.
C’est toute la philosophie de la télévision locale, donner la parole à des gens
dont au premier abord on pense qu’ils n’ont rien à dire et finalement c’est
plein de bon sens. C’est un vrai bain de jouvence par rapport aux chaînes
nationales où l’on a l’impression de regarder des gens complètement décalés.
Quand on regarde 8 Mont-Blanc on voit des gens normaux !
Préparation du studio avant
l’interview de Philippe Cassard.
Quand on vous disait qu’il portait sa télé à bout de bras…
Comment vous positionnez-vous par rapport à France 3 ?
On est complémentaires, je
pense. On n’a pas les moyens de faire des études comparatives et on ne l’a pas
fait. Pour nous il n’y a pas de concurrence. France 3 fait son travail de chaîne
régionale, nous on fait un travail de chaîne locale.
Avant la mire, vous perdiez 1 MF par mois. Maintenant TV 8 Mont Blanc est à
l’équilibre. Comment avez-vous infléchi la courbe ?
On a fait le travail de
quarante à quinze ! Voilà tout !
Vous-même êtes à la fois manager, présentateur, journaliste et technicien…
Je répète souvent qu’on est trois fois quinze.
Quand on me dit « Votre
métier, c’est quoi ? » je réponds : « reportage, enquête, filature ! »
Combien de temps allez-vous tenir à cette cadence ?
Quand on aime on ne compte
pas. Quand on est dans une dynamique de progrès on ne sent pas la fatigue.
Moralement, nos équipes sont hyper motivées. Elles ont le sentiment que nous
allons dans le bon sens. Cela donne beaucoup plus d’énergie qu’on ne le pense.
Avez-vous le sentiment de vous épuiser ?
Non, je résume nos
années : 1ère année, il fallait ouvrir ; 2ème année, il
fallait résister ; 3ème année, il fallait confirmer ; 4ème
année, il fallait chercher à se développer. Quand tu vois les choses comme ça,
tu te dis que le temps passe vite et je n’ai pas le sentiment d’être
complètement usé.
La débrouillardise et les bouts de ficelle sont-elles vos seules alternatives de
survie ?
La télé locale en France, les téléspectateurs la demandent, par contre au niveau
parisien ce n’est pas forcément désiré…
A son bureau au milieu de
ses troupes.
Open space et jeunesse d’esprit de rigueur.
La télévision locale est-elle encore trop soumise au diktat parisien ?
Les Parisiens nous on volé la télévision ! J’estime que les chaînes nationales,
la Une, la 2 et tout le reste, ce sont des chaînes locales de Paris. Nous, on
arrive à démontrer que les téléspectateurs provinciaux ont aussi droit à la
télé. J’estime qu’on remplit une vraie mission, et mes enfants, qui sont âgés de
cinq à huit ans, quand ils regardent Star Academy, ils ont l’impression
qu’effectivement tous les gens qui les entourent ne sont pas des gens
intelligents parce qu’ils ne passent pas à la télévision. Eh bien moi, je
valorise la locale, la télévision est au service de tout le monde ! D’autre
part, j’estime qu’on ne fait pas des bouts de ficelle, on fait du progrès.
45 postes tenus par 15 personnes, c’est quand même des bouts de ficelle. Les
télés locales qui n’arrivent pas à utiliser ce modèle de gestion sont-elles
condamnés à disparaître ?
On a connu ce qu’était une
fermeture de chaîne, on y pense tous les jours. Ma fracture elle est là. Voir
son entreprise fermée c’est ce qui fait le plus mal. Hier, j’ai fini à 23 h, on
a travaillé beaucoup, mais ce n’est pas difficile. Ce qui est dur, c’est
d’annoncer à des gens que tu les licencies. Tu me dis « bouts de ficelle », je
te réponds motivation, foi en ce qu’on fait. Les bouts de ficelle ce sont les
gens qui trichent, qui ont beaucoup de moyens et qui utilisent finalement 10 %
de ce qu’ils ont. Nous, on utilise 300 % de ce qu’on a. On nous a dit :
« Vous êtes une télé MJC » alors que 8 Mont Blanc est une télé
professionnelle qui a prouvé qu’on pouvait vivre et travailler au pays dans
l’audiovisuel.
A Lyon, TLM continue de perdre 1 MF par mois. Pourquoi ce qui marche ici ne
fonctionne pas à Lyon ?
Je vais être langue de
bois pour dire d’abord que je n’ai pas de conseil à donner.
Vous avez dit que vous utilisiez à 300 % ce que vous aviez, alors que les autres
ne l’utilisent qu’à 10 %… les autres ce sont nos amis lyonnais ?
Non, non, non ! (rires)
La chance que nous avons eue, nous, c’est d’avoir eu l’écran noir. Eux n’ont
pas eu effectivement cette espèce de rupture. On a médité pendant trois ans dans
notre coin… Quand je vois le fonctionnement de TLM, à 4 M €, je trouve qu’il ne
coûte pas cher. On ferait mieux d’aider TLM en reversant une partie de la
redevance aux chaînes de télévisions locales. Quand je vois que Monsieur
Teyssier arrive à faire des bénéfices sur sa redevance, que France 2 se paie un
siège extraordinaire à Paris, j’estime qu’il pourrait reverser 10 € pris sur
chaque redevance pour aider les télés locales.
Sur la terrasse du Super
Panorama. L’homme est réputé pour
son coup de fourchette et pour ses coups de cœur…
Peut-on vivre éternellement à découvert ?
Nous vivons à l’année, nous, avec le coût d’une mi-temps d’un match de football
pour France 2 en Coupe d’Europe. J’estime donc que TLM à 4 M € par an, ce n’est
pas cher ! Si on nous donnait 10 € de redevance, ça nous permettrait de faire
vivre au pays 30 salariés et de créer de l’emploi. En France, si on développe la
télé locale on crée 3 000 emplois. Défendons la télé locale !
Que pensez-vous de la nomination de Jean-Marc Dubois, patron de TLM, à la tête
de France 3 Lille ?
Je l’ai rencontré. On n’a jamais pu travailler ensemble. Il
est mieux dans le public. Je pense que c’est un professionnel compétent, mais il
n’a pas adopté le modèle que nous avons ici : faire beaucoup avec peu. Lui, à
l’inverse de nous, s’est promu personnellement, moi-même j’essaie de promouvoir
plutôt le média, 8 Mont-Blanc. Cela ne me surprend pas qu’il retourne au service
public.
Comment pouvez-vous lutter contre la fuite de vos cerveaux happés par les
grandes chaînes ?
La télévision locale c’est un excellent moyen
de formation, on est condamnés à former les gens.
Mais vous ne jouerez jamais en ligue 1 ?
Attendez, il y a des divisions 2 qui permettent
à des jeunes d’arriver en ligue 1 ! Je ne me suis jamais pris pour une chaîne de
Ligue 1. Je suis fier quand un de mes gars arrive à passer sur une chaîne
nationale. Je suis comme le petit entraîneur qu’on ne connaît pas, qui a formé
untel et qui continue d’être un besogneux…
Vous êtes l’entraîneur de Trappes qui regarde Anelka partir…
Non, sauf que je suis au bord du lac d’Annecy !
Je n’irais pas à Trappes faire ça ! (rires) Quand un jeune vient à 8
Mont-Blanc, ce que je lui demande c’est d’être là pour faire un parcours. S’il
dit : « Maintenant je suis capable d’aller sur le réseau national » on
fera tout pour. Cela fait plaisir de voir une Karine Rey formée sur 8 Mont-Blanc,
faire tout un parcours sur les chaînes nationales et revenir chez nous. Je veux
des gens plutôt ambitieux, qui veulent se servir de 8 Mont-Blanc comme d’un
tremplin et ça ne me dérange pas. Quel dommage de ne pas pouvoir tous les
embaucher ! A l’intérieur de la boite, il y en a un qui a, en ce moment, des
velléités de faire du national. Je ne souhaite qu’une seule chose : qu’il parte
vite, le pire c’est le type qui veut faire du national mais qui n’en a pas le
niveau et qui reste…
A suivre,
Dr Bob et Mr Sinclar
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